Reconnaissance et consécration artistique: le piège tendu aux politiques culturelles

Je suis abonnée à la newsLetter du Deps ( le département des études, de la publication et la statistique) du ministère de la Culture et voici un de leurs nouveaux travaux qui mérite que je formule une critique. Pour mieux comprendre le rôle du DEPS, je cite le site du ministère: "il forme le principal service d'études du ministère de la Culture et de la Communication, spécialement chargé des études socio-économiques dans le domaine de la culture. Grâce au développement des statistiques sur la culture, il apporte un éclairage quantitatif et qualitatif à la définition, aux orientations et à l'aide à la décision des politiques culturelles nationales."

Le Deps, c'est donc l'organe étatique où se mènent les réflexions pour construire nos futures politiques culturelles. Or je découvre qu'ils s'associent à de nombreux laboratoires de recherche pour réfléchir aux processus de Reconnaissance et consécration artistique. Jetez donc un oeil à la page du colloque en question: www.colloque-consecration.org (au cas où elle disparaitrait du site un jour, j'ai copié son contenu en fin de ce mail)
 
"Et alors, c'est quoi la polémique ?" vous demandez-vous. Un peu de patience, je vous y conduis, tout en restant bien courtois face à un sujet qui pourtant m'indigne très profondément. Je me tempère...

Fouiller cette question revient à comprendre comment on est capable d'anticiper ce qui va faire d'une œuvre ou d'une équipe artistique une référence. En tenant compte de toutes les évolutions du secteur culturel, dont l'interaction avec le secteur marchand, l'émergence d'artistes toujours plus nombreux et divers dans leurs esthétiques, et les moyens d'accès à la production culturelle démultipliés avec le numérique depuis 10 ans, les voies qui mènent à la consécration se sont multipliées. Ce colloque vise à les identifier.


Ce questionnement intéresse tous ceux qui, d'une manière ou d'une autre, souhaitent comprendre comment on "se hisse sur le podium", cette place où on aura un accès privilégié aux financements publics ou privés de la création, aux circuits de diffusion... Cette place où on n'aura plus à se préoccuper de ce qu'on crée et de comment on le finance, car on aura toujours le bénéfice de la célébrité qui garantit que quoi qu'on fasse, ce sera consommé par un large public bien préparé par une communication abondante qui vénère la célébrité obtenue. Dans le privé ce sera rentable, dans le secteur public on parlera de rayonnement ... deux finalités différentes, mais un enjeu commun : la reconnaissance et la consécration !

C'est le début de notre problème, car à partir de cet enjeu, on structure les moyens, on détermine comment on travaille. Raisonnons par le cas pratique, je prends la MC2 de Grenoble pour une Nième fois sur ce blog :
-un directeur artistique, aidé par son réseau d'homologues dans les équipements phares des autres grandes villes, travaille la sélection des œuvres au sein des milieux qu'ils connaissent: les circuits de création abondamment financés par le même ministère de tutelle.
- une équipe de commerciaux qui produit un catalogue annuel et qui diffuse ses produits sur tous les circuits de vente traditionnels physique ou internet.
- un gros budget de communication, pour inonder les espaces publicitaires de l'agglomération et pour acheter des encarts dans toute la presse locale.

C'est très proche du secteur marchand. Seule la sélection diffère un peu car les producteurs marchands de loisirs culturels sélectionnent plutôt selon des critères marketing, mais le travail commercial et communicationnel est rigoureusement le même.

On ne peut pas dire que la politique publique a été influencée à ses origines par le secteur marchand; elle est plutôt l'héritière d'un passé lointain, où la production artistique financée par la noblesse avait pour fonction de distraire le roi et sa cour. Pour les dubitatifs, sachez que la comédie française, l'élite de la formation théâtrale française encore aujourd'hui, était créée par Louis XIV au XVIIeme siècle; et désormais les centres dramatiques créés par le ministère partout en france durant les dernières décennies n'aspirent qu'à y ressembler, qu'à copier le modèle qu'ils convoitent. Aujourd'hui encore, la politique culturelle est imprégnée de cette vision de l'excellence, à l'origine de la recherche de la reconnaissance et de la consécration. Le secteur marchand culturel n'en est donc pas responsable ; en revanche par son omniprésence il conforte cette manière de penser, cette recherche de l’œuvre consacrée qui aura un succès garanti. Et nos chercheurs et notre ministère, incapables de penser autrement, se ruent sur la question: quelle tristesse.



C'est bien là la polémique. On affecte des moyens publics énormes sur cette question (entre les services ministériels et les chercheurs d'université, ça en fait des denier publics!), alors que son caractère d'utilité sociale ( ou d'intérêt général employez le terme que vous voudrez ) n'a rien d'évident. J'affirmerai même que les enjeux d'une politique publique de la culture sont complètement ailleurs, et je m'arrête ici pour cette article bien assez long. Pour ne pas vous frustrer totalement si vous voulez des pistes pour cette ailleurs, cherchez sur ce blog les articles parlant de l'agenda 21 de la culture, de diversité culturelle, de déclaration universelle des droits culturels, de Jean-Michel Lucas... et vous serez alors sur la bonne voie.




COPIE DU TEXTE PUBLIE SUR www.colloque-consecration.org

Argument

Si les questions de reconnaissance et de consécration se situent au cœur de toute analyse des univers artistiques et culturels, c’est que ces derniers sont fondés sur des propriétés spécifiques et pour le moins paradoxales. En effet, relativement à d’autres domaines, les mondes de l’art se caractérisent par l’importance majeure que les professionnels comme les publics accordent à la valeur symbolique des œuvres et des artistes et par le désintéressement affiché ou, du moins, la dénégation assumée concernant la valeur et les profits économiques. Ainsi, au sein de ces univers, la hiérarchisation des artistes et des œuvres s’organise essentiellement selon la logique de l’accumulation du capital symbolique. Or, paradoxalement, l’évaluation de la qualité ou de la valeur artistique s’avère, au moins au départ, fortement marquée par l’incertitude, notamment parce que cette évaluation est généralement privée de conventions consensuelles et que ses objets (œuvres et artistes), loin d’être homogènes comme sur d’autres marchés, se caractérisent avant tout par leur singularité.
Le développement de l’analyse de la reconnaissance et de la consécration artistiques se révèle donc essentiel pour comprendre ce qui fait le prix et la valeur artistique des œuvres et pour appréhender, plus généralement, le fonctionnement social des champs artistiques dans leur diversité.
C’est l’objectif que s’assigne ce colloque en faisant dialoguer des chercheur-se-s provenant de différents pays et de plusieurs disciplines des sciences sociales (sociologie, histoire et histoire de l’art, études littéraires, sciences de l’information et de la communication, économie, etc.) et des acteurs institutionnels de l’art et de la culture.
La variété des points de vue vise en particulier à penser les phénomènes de consécration en relation avec les transformations passées et présentes des mondes de l’art. Ces dernières années, l’accroissement des populations d’artistes, la concentration des entreprises culturelles et médiatiques et le développement de l’organisation par projet font partie des principales mutations ayant entraîné une intensification de la concurrence et de la spéculation sur la qualité artistique. Si ces transformations n’ont pas fait disparaître les voies traditionnelles de la consécration, elles en ont fait apparaître de nouvelles et semblent avoir rendu plus efficientes celles qui étaient davantage centrées sur la notoriété médiatique et commerciale que sur la réputation proprement artistique.
Identifier ces différents phénomènes, les distinguer et rendre compte empiriquement de leur articulation dans le processus de reconnaissance des œuvres, des artistes ou des genres artistiques comptent parmi les enjeux majeurs de ce colloque.

Comité d’organisation

Laurence Ellena (Université de Poitiers, GRESCO), Pierig Humeau (Université d’Amiens, CURAPP), Wenceslas Lizé (Université de Poitiers, GRESCO), Fanny Renard (Université de Poitiers, GRESCO), avec l’aide d’Anne Cavarroc et de Chantal Vallet

Comité scientifique

Président : Yvon Lamy (Université de Limoges, GRESCO)
Christophe Charle (Université Paris 1, IHMC), Jérôme David (Université de Genève), Wouter De Nooy (Amsterdam Universiteit), Olivier Donnat (DEPS, ministère de la Culture et de la Communication), Timothy J. Dowd (Emory University, Atlanta), Jacques Dubois (Université de Liège), Vincent Dubois (Université de Strasbourg, GSPE), Sylvie Ducas (CHCSC, Université de Versailles Saint-Quentin-en-Yvelines), Laurence Ellena (Université de Poitiers, GRESCO), Charlotte Guichard (IRHiS, CNRS), Pierig Humeau (Université d’Amiens, CURAPP), Susanne Janssen (Erasmus Universiteit, Rotterdam), Bernard Lahire (ENS Lyon, Centre Max Weber), Philippe Le Guern (Université d’Avignon, Centre Norbert Elias), Wenceslas Lizé (Université de Poitiers, GRESCO), Gérard Mauger (CESSP, CNRS), Delphine Naudier (CRESPPA-CSU, CNRS), Claude Poliak (CESSP, CNRS), Alain Quemin (Université Paris 8, Institut d’Études Européennes), Marie-Pierre Pouly (Université de Limoges, GRESCO), Hyacinthe Ravet (Université Paris Sorbonne, OMF), Fanny Renard (Université de Poitiers, GRESCO), Olivier Roueff (Printemps, CNRS), François Rouet (DEPS, ministère de la Culture et de la Communication), Dominique Sagot-Duvauroux (Université d’Angers, GRANEM), Marco Santoro (Université de Bologne), Gisèle Sapiro (CESSP, CNRS), Séverine Sofio (CRESPPA-CSU, CNRS), John B. Thompson (Cambridge University), Solange Vernois (Université de Poitiers, GERHICO),

Soutiens institutionnels et partenaires scientifiques

Le colloque "Reconnaissance et consécration artistiques" est organisé par le GRESCO avec la participation du Centre Universitaire de Recherche sur l’Action Publique et le Politique (CURAPP) et le soutien du Département des études, de la prospective et des statistiques du ministère de la Culture et de la Communication (DEPS), de l’Université de Poitiers, de la Région Poitou-Charentes, de l’IUFM Poitou-Charentes et de la Communauté d’agglomération Grand Poitiers.
Le colloque a également reçu le soutien des partenaires scientifiques suivants : le Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP), le programme ANR IMPACT, le Centre Max Weber, l’Observatoire Musical Français (OMF) et l’Association Internationale de Sociologie (ISA)

2 commentaires:

  1. http://fcc.metistudio.eu

    "Anti-Crise"

    D'accord avec ce que vous écrivez ;
    Envoyez nous un message, pour que nous sachions où écrire..

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    1. C'eût été avec plaisir mais encore me faudrait-il une adresse pour le faire.

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